" Comment trouver l'équilibre entre le respect de la volonté du patient et la nécessité médicale d’intervenir, parfois, pour la survie du patient ? "
Le soin médical, à savoir l'action de soigner un malade, est par définition un acte intrinsèquement humaniste. Pour autant, il ne saurait s'apparenter à une intrusion dans l'intimité du malade.
En effet, au nom du sacro-saint principe de l'inviolabilité du corps humain et de celui de l'autonomie de la volonté, aucun acte médical ne saurait être pratiqué sur un patient sans que le consentement de ce dernier n'ait été préalablement recherché.
En Droit gabonais, cette règle est affirmée par l'article 16 de l'Ordonnance du 23 février 2018 portant organisation et gouvernance des structures sanitaires en République Gabonaise :
<< un acte médical ne peut être pratiqué sur le patient sans son consentement >>
Ce principe du consentement thérapeutique induit inévitablement la reconnaissance, au bénéfice du malade, du droit de refuser les soins.
Le droit du patient de refuser les soins
Le droit de refuser les soins est inscrit dans la charte des patients (article 8). Ainsi, en dépit du bénéfice thérapeutique que l'acte médical pourrait lui apporter, le patient est libre de refuser les soins qui lui sont proposés.
Le refus de soins peut consister en un refus de prise en charge : dans ce cas, la relation médicale n'existe pas. Mais il peut également s'exprimer dans le cadre d'une prise en charge déjà effective. En effet, en droit médical, il est établi que le consentement thérapeutique n’est jamais définitif. Cela signifie que, une fois le contrat médical formé, le patient dispose d’un droit de rétractation dont il est libre de faire usage à tout moment. Ainsi peut-il refuser de se soumettre à un acte médical qu’il avait pourtant préalablement accepté, sans pour autant renoncer à sa prise en charge.
Les motifs du refus de soins sont variés. Il peut être motivé par des convictions religieuses (par exemple un témoin de Jehovah qui refuse une transfusion sanguine) comme il peut résulter de la crainte du traitement (par exemple, un patient souffrant de bélonéphobie, ou phobie des aiguilles, qui refuse de se soumettre à une prise de sang ou une vaccination).
En revanche, la décision du patient réfractaire n’est pas banale pour le médecin qui, par voie de conséquence, se retrouve tiraillé entre son obligation éthique de respecter la volonté du patient et son obligation légale (et déontologique) de porter assistance.
Les effets du refus de soins
L’article 382 du code pénal gabonais sanctionne de 5 ans d’emprisonnement et/ou de 1.000.000 de FCFA d’amende « quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en lui portant un secours ». De même, le Code déontologie ancien dispose en son article 5 que « quelle que soit sa fonction ou sa spécialité, hors le seul cas de force majeure, tout médecin doit porter secours d’extrême urgence à un malade en danger immédiat, si d’autres soins médicaux ne peuvent pas lui être assurés. ».
Or, le médecin ne peut passer outre la volonté du patient de refuser l'acte médical ou le traitement qui lui est proposé. S'il agissait de la sorte, il engagerait systématiquement sa responsabilité médicale.
Dès lors, quelle devrait-être l'attitude du praticien ? Comment trouver l'équilibre entre le respect de la volonté du patient et la nécessité médicale d’intervenir, parfois, pour la survie du patient ?
Selon le Code de déontologie ancien, « le médecin doit s’efforcer d’obtenir l’exécution du traitement, particulièrement si la vie du malade est en danger » et peut, en cas de refus, « cesser ses soins » (article 29). Toutefois, le médecin ne peut « se dégager de sa mission » qu'à condition « de ne jamais nuire de ce fait à son malade » et « de s’assurer de la continuité des soins » (article 36).
Il en ressort que, si la volonté du patient de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit pour sa part tout mettre en œuvre pour le convaincre de la nécessité des soins. En France, le Code de la santé publique prévoit que, dans un tel contexte, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable de réflexion.
Au Gabon, la procédure de réitération du refus n'est pas inscrite dans la législation en vigueur. Néanmoins, dans la pratique, il est admis que le médecin puisse solliciter l'aide des proches devant l'ampleur de la tâche, dans le strict respect du secret médical.
Si le patient maintient malgré tout son refus, celui-ci « doit être expressément notifié au praticien » (article 16 de l'Ordonnance du 23 février 2018). Notons que le médecin peut prouver le refus de soins du patient par tous moyens : par le biais d'écrits reprenant la chronologie de l'ensemble des consultations, en conservant le double de l'ensemble des correspondances avec le malade et avec les autres praticiens intervenus dans le suivi thérapeutique. Il a cependant tout intérêt à systématiquement faire signer au patient un formulaire d'information complété par un refus de soins, de manière à se préconstituer une preuve le cas échéant.
En définitive, pour couvrir sa responsabilité, le praticien confronté au refus de soins exprimé par un patient doit avoir informé le patient de son diagnostic et des conséquences de sa décision, de sorte que celle-ci soit éclairée.
COUP D'OEIL SUR LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE EN MATIERE DE REFUS DE SOINS DU PATIENT
→ La responsabilité du praticien qui a agi malgré le refus du patient ne pouvait être engagée au motif que l’acte était indispensable à la survie et proportionné à l’état du patient. [CE, 26 oct. 2001, Senanayaké : AJDA 2002. 259, note M. Deguerge]
→ Avant la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, sur le fondement de l'article 16-3 du code civil, il a déjà été jugé par la Cour de cassation que nul ne peut être contraint, hors les cas prévus par la loi, de subir une intervention chirurgicale. [Civ 2ème, 19 mars 1997, Bull civ, II, n°86]
→ Dans la même lignée, il a été jugé que « le délit de non-assistance à personne en péril ne saurait être retenu à l'encontre d'un médecin, dès lors qu'il est constaté que la thérapeutique adéquate ordonnée par lui n'a pas été appliquée en raison du refus obstiné et même agressif du malade de se soumettre aux soins prescrit, le malade ayant d'ailleurs signé un certificat constatant ce refus. ». [Cass crim, 3 janv 1973, BC n°2 p.4]
→ La Cour de cassation a apprécié une affaire concernant un patient présentant une lipomatose pelvienne et qui a refusé la pose d'une sonde. Or, le refus du traitement préconisé a conduit à une dégradation de son état de santé, contraignant le chirurgien à procéder à une intervention mutilante. La Cour de cassation a jugé qu'il convient de rechercher si le patient avait été informé des risques graves encourus en cas d'opposition au traitement préconisé et de recours à l'intervention réalisée, pour donner un consentement ou un refus éclairé aux actes médicaux envisagés. [Cass. 1re civ., 15 nov. 2005, n° 04-18.18]
→ Il a été jugé de longue date qu'en cas de refus de soins, le médecin « peut, à la condition d'assurer la continuité des soins, cesser de soigner le malade. Il peut, pour couvrir sa responsabilité, faire constater par écrit l'attitude du patient. ». [Cass 7 nov 1961, n° 508]
→ La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades dans sa première version ne prévoyait aucune exception au droit du patient de refuser les soins. Toutefois, le corps médical a fait montre de réticences à respecter le refus de soins lorsque le pronostic vital du patient était en jeu. La question s'est posée dans des affaires concernant des refus de transfusion sanguine par des témoins de Jéhovah. A deux reprises, le Conseil d'Etat a privilégié la volonté du médecin sur celle du patient [CE, ass 26 oct 2001, RFD adm 2002 p.146 et CE ord ref 16 août 2002, JCP G 2002 II 10184.]. Par la suite, le comité national consultatif d'éthique a émis, le 14 avril 2005, un avis intitulé « Refus de traitement et autonomie de la personne » par lequel il a rappelé que « le refus de traitement clairement exprimé par une personne majeure ayant encore le gouvernement d'elle-même ne peut être que respecté, même s'il doit aboutir à sa mort. Soigner une personne, ce n'est pas prendre en compte chez elle, seulement l'aspect médical mais l'unité même de sa personne. Venir en aide à une personne n'est pas nécessairement lui imposer un traitement. ». Le critère du risque vital pour déterminer si le médecin pouvait passer outre le refus de soins exprimé par le patient, était donc écarté. Pour mettre un terme aux interprétations divergentes de la loi, la loi n° 2005 - 370 du 22 avril 2005 a modifié l'article L. 1111 - 4 alinéa 2 du CSP. Désormais, le patient est en droit de refuser tout traitement, même vital, et le médecin doit respecter le refus de soins exprimé par celui-ci à condition qu'il s'agisse d'une décision éclairée et réitérée après un délai raisonnable de réflexion.
→ Ainsi, le 21 décembre 2006, la Cour d'Appel d'Aix en Provence a jugé que le médecin n'avait pas commis de faute en ayant tardé à procéder à une intervention vitale, en raison de l'opposition exprimée par la patiente, témoin de Jéhovah, de faire l'objet d'une transfusion sanguine. La patiente n'avait pas survécu. La Cour a précisé : « Il ne saurait être reproché au médecin, qui doit respecter la volonté du malade, d'avoir éventuellement tardé à pratiquer une intervention vitale, alors qu'il ne pouvait la réaliser sans procéder, contre la volonté du patient, à une transfusion sanguine… ».
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